Les programmes de recherche POPSU relèvent de la recherche-action. Mais cela ne suffit pas à caractériser les principes qui les guident, la recherche-action, qui fait l’objet d’une attention toujours aussi soutenue dans la recherche urbaine1, pouvant s’inscrire dans un rapport tout à fait classique entre un commanditaire et un prestataire.
Ce qui les singularise davantage est l’ambition « d’horizontaliser » les relations chercheurs/élus et praticiens de la ville (administration centrale et déconcentrée, services des collectivités, opérateurs publics et privés de l’action publique urbaine). L’un des enjeux est de développer des travaux de recherche qui, s’ils visent bien à contribuer à l’action ou à en éclairer les conditions, portent sur des questions coconstruites entre acteurs et chercheurs. Les conditions de « réussite » de l’exercice sont multiples, à commencer par l’installation de dispositifs permettant de mobiliser les savoir-faire de la recherche, et de favoriser la capacité réflexive des élus et des professionnels de la ville. Si ces conditions sont réunies, les travaux de recherche qu’elles ont permis, doivent déboucher sur une production de résultats mise en discussion au fil de l’eau, au sein de formats susceptibles de les accueillir et de les rendre le plus largement accessible.
Un certain nombre d’éléments sont venus faciliter cette autre manière d’engager des travaux de recherche :
— la pratique, désormais robuste, de nombreux chercheurs, de la recherche
contractuelle négociée avec des organismes publics, parapublics, avec des associations ou des entreprises, qui a conduit à des coopérations inscrites dans la durée, formalisés par des partenariats ou plus informelles, avec les collectivités et leurs services ;
— la présence dans les services des collectivités locales (en particulier dans les intercommunalités métropolitaines ou de grandes agglomérations urbaines) ou dans des agences d’urbanisme de personnels, parfois à des postes de responsabilité dans la hiérarchie administrative, ayant eu une pratique de la recherche universitaire, formalisée pour certains par la réalisation d’une thèse, qui en ont gardé la conviction de l’utilité de telles démarches face à la complexification de l’action publique, une appétence pour la spéculation et la réflexion ;
— la présence à la tête de certaines de ces grandes collectivités, ou dans leur exécutif, d’élu.es, également universitaires, notamment dans les disciplines des sciences sociales, rompu.es à l’exercice scientifique ;
— la promotion par les politiques publiques de l’enseignement supérieur et de la recherche d’une recherche « socialement utile », qui puisse éclairer les politiques publiques (ce que formule très explicitement le récent Appel à Manifestations d’Intérêt concernant les SHS, adressé aux Universités) et de recherches « participatives », embarquant dans la recherche d’autres acteurs que les chercheurs académiques (dont le récent appel à projets Science avec et pour la société lancé par l’Agence nationale de la recherche).
Pour autant, tous les freins ou obstacles à ce type de démarche sont loin d’être levés. Certains sont d’ordre subjectif : crainte de démarche spéculative « hors sol » du côté des acteurs ou d’une liberté de parole critique qui s’exercerait à leur dépend ; prévention des chercheurs à l’égard de contraintes ou d’injonctions qui viendraient entraver leur démarche ou réduire leur autonomie et / ou leur champ, etc... D’autres sont d’ordre plus objectif : des temporalités qui ne sont pas synchrones, le temps de l’action n’étant pas celui de la recherche ; des coûts de « transaction » élevés et chronophages ; une moindre reconnaissance par les institutions académiques de ce type de travaux, voire leur disqualification par les pairs et ce, malgré leur récente légitimation, etc.
Néanmoins, hier, dans les plateformes des programmes POPSU 1, POPSU 2 et POPSU Métropoles ou aujourd’hui, dans les 23 plateformes du programme POPSU Transitions, ainsi que depuis 2018 dans le 51 plateformes de POPSU Territoires, ou demain dans le nouveau programme ÉRABLE opéré par le GIP EPAU, de nouvelles modalités de relation et de collaboration, allant jusqu’à des formes inédites de coproduction, s’expérimentent, dans des contextes politiques variés, à des niveaux d’engagement et de maturité divers, avec des effets, propres à la démarche réflexive, sur la conduite de la recherche comme sur l’action ou ses modalités, plus ou moins manifestes.
Cet appel à manifestation d’intérêt invite à l’analyse de ces interactions entre chercheurs, élus et professionnels, représentés dans ces programmes d’abord par les services des intercommunalités, mais également, dans un certain nombre de plateformes, par les agences d’urbanisme.
L’objectif n’est pas de passer au crible de l’analyse l’ensemble des plateformes, mais d’investiguer quelques-unes d’entre elles, en en sélectionnant un panel permettant, par la comparaison, de décliner le degré de maturité et d’aboutissement de ces interactions chercheurs/acteurs de plateformes dont on dit : « ça marche très bien » à des plateformes dont on dit : « ça ne marche pas du tout », pour, dépasser ces subjectivités, et « en profondeur », décrire, expliquer et objectiver :
— À quelles conditions ce type d’interactions est possible : modalités « d’apprivoisement » réciproque ? Établissement d’une sorte de « contrat de confiance » ? Sur quelle(s) base(s) et règles du jeu consenties, implicites ou explicites (« chacun à sa place ») ? « Gages » réciproques à donner ?
— Ce qui les facilite : existence d’une « culture préalable » qui a permis de lever les suspicions, incompréhensions (il conviendra alors d’en faire l’histoire) ? Existence de « passeurs », « transfuges », « médiateurs » d’un monde à l’autre (qui sont-ils/ elles ? et comment se sont construites ces positions ?) ?
— Ce sur quoi elles buttent : un rapport au temps différent ? Des préventions qui demeurent ? Des manières trop différentes – inconciliables – d’aborder les sujets ? Des postures critiques ou surplombantes pour les uns ? Légitimistes ou scientifico-sceptiques pour les autres ? Des relations trop personnalisées qui fragilisent la réflexivité dans la mesure où elles empêchent les institutions et organisations d’être pleinement engagées ?
— Comment elles se concrétisent (séminaires, réunions de travail, temps d’enquête partagés, etc) ?
— Ce qu’elles produisent : du dialogue, de la coproduction, etc. ? Avec quels effets, d’une part sur la recherche et les chercheurs, d’autre part sur l’action et les acteurs (élus et professionnels) : évolution de leur positionnement, transformation de leur professionnalité, etc. ?