LA METROPOLE EN RÉFÉRENCE
A Bordeaux, comme dans d’autres agglomérations, le passage à l’échelle métropolitaine pour organiser et gouverner les territoires, induit des changements dans les représentations et les pratiques des acteurs. Ces transformations concernent les interprétations des évolutions en cours, les définitions des situations qu’ils ont à affronter et les solutions envisagées, débattues et mises en œuvre. L’image largement diffusée de l’avènement d’une « métropole millionnaire » suscite des tensions entre références territoriales héritées et celles en gestation. Elle oblige les acteurs à reconstituer leurs répertoires d’action, saisis à l'échelle métropolitaine par l'observation et l'analyse de trois éléments : l’offre de mobilité; le poids des économies de la connaissance et créative ; et les recadrages territoriaux qu’implique la métropole comme territoire d’action. Ce sont les conditions de cette transition vers une nouvelle logique territoriale, que le programme de recherche POPSU II a abordé dans le contexte bordelais. Entre 2010 et 2013, la réalisation de plus de 60 entretiens, l'organisation de séminaires, l'analyse de nombreux documents ainsi que la comparaison avec d'autres agglomérations, ont dégagé une image de la métropole bordelaise au travers de débats et de controverses qui l'animent.
Pour le période 2005-2010, nous avions mesuré l’attractivité retrouvée de la ville centre grâce au tramway. Le projet phare du réveil bordelais durant la première phase de projet urbain (1996) avait révélé la possibilité de penser la métropole à partir de la mobilité. Néanmoins, des questions restaient en suspens : d’abord, celle de la pertinence du périmètre d’action de l'offre de transports, limitée à l’intra rocade. De même, la prise en compte de l’environnement et de la transition énergétique, la montée en force de la démocratie participative, l’intégration de la donne économique et sociale (crise de 2008) appelaient à reformuler le référentiel d’action urbaine élaboré à la fin des années 1990. Un cycle de projets dont l’Opération d’Intérêt National Euratlantique constitue le « navire amiral », fut initié à partir de la nouvelle mandature (2008), sans qu’une hiérarchie soit définie en termes de calendrier ou de priorité dans l’affectation des ressources. Un récit local sur la métropole a prolongé le projet urbain de Bordeaux, valorisant un processus participatif intitulé « La fabrique métropolitaine », destiné à donner sens à une nouvelle configuration d'action. Nous avions conclu sur une métropole « au futur sans rupture ». La nouvelle phase d’études saisit "la métropole en référence".
La thématique de la mobilité prend à Bordeaux une ampleur toute particulière avec un système routier à faible capacité de mutation (la rocade), des transports publics qui montrent leurs limites (le tramway), la mise en avant de pratiques de mobilité nouvelles (co-voiturage, vélo, marche) dont l’intégration reste conditionnée par un changement de pratiques des habitants. D’où l’enjeu majeur pour la Communauté Urbaine de Bordeaux de définir une offre métropolitaine de mobilités, en mode durable. Une offre qui repose sur des liaisons concentriques en mesure d’optimiser le réseau existant, mais surtout sur l’invention à terme (2020) d’un réseau à l’échelle métropolitaine, un « RER de province », susceptible d’améliorer les connexions entre espaces résidentiels et économiques. En lien avec ce réseau, les lancements d’une opération de densification autour des axes de transport (les 50 000 logements) et du grand projet Euratlantique, scellent l’émergence d’un nouvel urbanisme bordelais. Les notions de multimodalité et d’intermodalité associées aux pôles d’échange font également partie intégrante d’un système d’accessibilité à la métropole moins énergétivore. La mobilité devient ainsi le vecteur d’une conscience métropolitaine dont l’organisation d’un « Grenelle des mobilités », grand moment réflexif, a été en 2009 le point d’orgue.
Soumise à l’épreuve des territoires et des héritages de l'histoire, l'offre de mobilité rencontre des difficultés pour sa mise en œuvre. Certaines sont communes à toutes les métropoles comme les périmètres d’action, les échelles de référence et les questions foncières. D’autres sont plus proches de la dimension locale comme le jeu des stratégies politiques et l’ancrage de cultures de la mobilité. La recherche a permis d’examiner chacune des contraintes afin d’estimer, d’une part, les conditions d’une gouvernance intermodale pour la « ville archipel » (l’aire urbaine) et, d’autre part, la prise en compte des potentiels d’intégration (urbaine, opérationnelle, servicielle) des pôles d’échange à ces mêmes territoires.
Avec des termes qui témoignent en matière de production urbaine d’un vocabulaire de la globalisation, nous avons analysé une manière localisée d’anticiper le développement économique et culturel de la métropole.
Du point de vue de la métropole, l’économie créative est davantage une référence identitaire qu'un support de régulation de l’usage du territoire. Elle se nourrit d’opportunités territoriales, d’initiatives privées et publiques (Terres Neuves et Darwin) qui impulsent de fait une transformation significative des quartiers dans une logique de renouvellement urbain : ici dans le périmètre d’Euratlantique, là dans celui de la rive droite. La concurrence et l’éclatement entre les sites, l’autonomie et l’indépendance des projets, empêchent de considérer ces actions comme constitutives d’un axe stratégique d’aménagement. En témoigne l’absence d’un fond de décor à l’échelle métropolitaine, d’une image spatialisée du secteur en dehors de micro-sites. Nous n'observons pas un référentiel d’action en la matière, comme le reflète l’instabilité des définitions d'une "classe créative" données par les acteurs et sa capacité à transformer la métropole malgré une action diffuse de "créatifs".
Avec l’opération Campus, l’économie de la connaissance s’inscrit localement dans le chantier actuel de recomposition institutionnelle des universités. A l’actif du campus bordelais, un certain succès compétitif dans les appels à projets nationaux (labex), mais des difficultés récurrentes dans le processus même. Des décalages entre la mise en forme de la fonction campus et l’inscription de l’université dans l’espace (plan d’aménagement), le manque de cohérence des récits des acteurs, peinent quelquefois à donner du sens à un besoin de changement. L’université à Bordeaux est certes reconnue comme acteur de la configuration socio-politique locale, mais le système universitaire se réforme sans transformer fondamentalement la ville.
Si, pour les deux secteurs, les forces sont potentiellement présentes (clusters créatifs, plan campus), nous remarquons une disjonction entre secteurs d’activité (connaissance, culture et industrie créative) qui pondère l'efficacité d'une classe créative à initier des changements d'ampleur et une concurrence entre collectivités locales qui ne permet pas encore de dépasser le mythe affiché. Des actions qui ne s’élèvent pas, comme pour d’autres villes, au rang des avantages métropolitains.
L’analyse des régulations territoriales montre, au sein de la "CUB institution", un saut qualitatif : le passage d’une logique de guichet, et son corollaire théorique de « sociation » ou arrangements d’intérêts municipaux à l’échelle des 27 communes, à une logique de mission et son corollaire communalisant, de mise en commun par le projet à l’échelle métropolitaine. La régulation métropolitaine s'opère à un double niveau : culturel et technique. Culturel d’abord, par la construction d’un avenir métropolitain commun mettant en scène des valeurs comme le négocié, le durable ou l’équité qui s’inscrivent dans le cadre d’un récit et d’une démarche participative : la « Fabrique métropolitaine ». Technique ensuite, par la réalisation des projets urbains et architecturaux et le développement de l’offre de mobilité.
Faute d’un pouvoir politique régulateur autonome - ou alors d’un leadership partagé comme à Euratlantique –, la régulation métropolitaine semble inachevée. L’opération des 50 000 logements sera-t-elle à même d’enclencher les premiers pas d’une régulation métropolitaine à part entière ? Le rôle de la SPL Bordeaux Fabrique Métropolitaine en sera un bon indicateur. Pourtant, les scènes de régulation ne manquent pas. L’avancée des projets s’est accompagnée de la création ou du renforcement de différents dispositifs motivés, pour chaque échelle territoriale, à répartir les charges entre opérateurs publics et privés, à coordonner projets de transport et d’aménagement. La consolidation des services techniques des collectivités et de la CUB ; la création de dispositifs de mission (l’OIN Euratlantique ou le PRES dans le cadre de l’opération Campus) ; l’activité de l’A’Urba dans le fonctionnement de la fabrique métropolitaine et la promotion de dispositifs réglementaires à l’échelle départementale (SCOT et InterSCOT) ; le rôle informel de MOUVABLE dans la coordination des AOT sont autant de points d’appuis sur lesquels une gouvernance territoriale prend forme.
Les trois angles d’observation témoignent que la métropole est devenue dorénavant "une référence" en matière d’action sur les territoires. Demeure aujourd’hui la question de son institutionnalisation qui s’annonce (l’acte III de la décentralisation), et donc celle des menaces sur les compromis qui semblaient se dessiner et des résistances « au fait urbain » qui se font jour.
Équipes
Responsables scientifiques
Guy Tapie, professeur en sociologie, École nationale supérieure d’architecture et de paysage de Bordeaux, Laboratoire PAVE, Centre Émile Durkheim (Université de Bordeaux) ; Patrice Godier, enseignant contractuel en sociologie, École nationale supérieure d’architecture et de paysage de Bordeaux, Laboratoire PAVE, Centre Émile Durkheim (Université de Bordeaux).
« Économie de la connaissance »
Olivier Ratouis, Guy Tapie, Lise Monneraud
« Gares et pôles d’échanges »
Patrice Godier, Adrien Gonzales, Thierry Oblet
« Fragilités urbaines »
Lise Monneraud
, Claude Sorbets
Ressources liées
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