Economie de la connaissance
Pour les décideurs locaux, l’« économie de la connaissance » doit permettre aux villes de réinventer sans cesse de nouvelles spécificités productives, sources de croissance et de création d’emplois. Cet espoir concorde avec une orientation nationale qui, depuis les années 2000, fait de l’utilisation de la connaissance à des fins d’innovation un objectif à part entière. Considérant que l’économie de la connaissance est une notion floue plus qu’une réalité repérable, la recherche balaie un champ allant des activités d’innovation scientifique à l’économie de la culture et des arts. Notre hypothèse générale est celle de l’interaction entre des champs de l’innovation et de la connaissance souvent étudiés séparément et qui, en réalité, font système. Un premier volet de nos recherches porte éclairage sur les pôles de compétitivité nantais et l’engagement de l’appareil d’enseignement supérieur et de recherche. Un deuxième volet vise à décrypter l’émergence d’un nouveau projet de cluster des industries culturelles et créatives de centre- ville, partie prenante au projet urbain de l’île de Nantes.
Les réseaux de l’économie de la connaissance interrogent fortement le territoire et l’aménagement. En effet, si la mise en réseau des acteurs peut être vue comme positive en tant que créatrice de synergies, la territorialisation du réseau n’est peut-être pas aussi simple à juger. La forme du réseau, son centrage sur la principale ville de la région, les processus d’accumulation qui se mettent en place, tout concourt à pointer un modèle territorial qui n’est pas du tout celui d’un espace régional équilibré dans lequel tous les types d’organisation et d’économies ont leur place, mais celui d’un modèle polarisant dont le réseau correspond à une satellisation des périphéries régionales. Sur le fond, ce n’est pas très étonnant, puisque nous sommes là dans une configuration assez classique d’organisation régionale métropolitaine et métropolisée, dans une structuration centre/ périphérie tout aussi classique. Les acteurs centraux du réseau confirment cette organisation. En termes d’aménagement, le réseau est un défi pour le politique, mais certainement celui qu’il imagine souvent. En effet, le réseau confronte brutalement des types de capteurs forts différents tant en potentialités qu’en capacité à s’intégrer à l’économie de la connaissance. Dire que le réseau est une solution n’a pas beaucoup de sens. C’est un révélateur de différences face auquel le politique se doit de trouver des stratégies de développement différenciées.
Dans l’économie de la connaissance, les établissements publics d’Enseignement Supérieur et de Recherche (ESR) jouent en France un rôle décisif, à travers leurs collaborations avec le monde industriel. Mais l’innovation partagée induit des arrangements et des changements au sein de / entre les organisations concernées. Des logiques distinctes (intérêt public/intérêt privé, invention/commercialisation…) sont mises en tension. Le dispositif des pôles de compétitivité a été initié par l’État en rupture avec les dispositifs existants en matière de soutien à l’industrie et d’aménagement du territoire, pour faire valoir le point de vue des entreprises en matière d’innovation, sur les dispositifs de la recherche publique. Ce chapitre aborde plusieurs questions. A Nantes, la création de pôles de compétitivité induit-elle une participation accrue des établissements d’ESR (grandes écoles et université) à l’économie de la connaissance ? Quels sont les effets mesurables des partenariats ESR-entreprises sur l’économie / le territoire ? Pour répondre à ces questions, le pôle de compétitivité Ensembles Métalliques et Composites Complexes (EMC2) a été étudié.
En complément de ces éclairages, nous avons pu documenter le projet du Quartier de la création, articulant, sur l'île de Nantes, une politique de développement d'industries culturelles et créatives, à la présence des établissements d'enseignement supérieur et de la recherche et de l'Université.
L’analyse d’entretiens conduits auprès de quelques-uns de ses initiateurs et de ses principaux protagonistes rend compte d’une montée en gouvernance d’un projet qui s’est d’abord initié par engagements infra-institutionnels de quelques individus. Celle-ci apparaît comme l’occasion pour l’Université de revendiquer un rôle clé dans la fabrique du territoire et de son attractivité. Ce travail trace alors l’itinéraire d’un projet pluriel à contenu flottant, et à géométrie variable. Son contenu apparaît en effet fortement soumis aux aléas des ressources, dont ses instigateurs se saisissent, selon une conception émergentiste de l’action publique, déjà éprouvée par le projet urbain de l’île de Nantes. Quant aux contours de ce "cluster de centre-ville", on observe qu’ils oscillent entre ceux d’un périmètre urbain d’un nouveau quartier (dont les halles Alstom en mutation sont l'épicentre), et ceux d’un périmètre de grand territoire (principalement métropolitain, mais aussi au-delà, avec des projets visant à associer les deux Régions des Pays de la Loire et de la Bretagne), alors que le pilotage technique des volets urbains et du développement revient désormais à une seule et même SPL, plus apte que jamais à faire le lien entre enjeux urbains et enjeux de développement économique.
Dans le champ de l’aménagement, l’approche des régulations territoriales et urbaines revient souvent à une analyse des documents, scripts, plans et programmes qui encadrent la fabrique urbaine. Elle tend aussi, dans le prolongement, à documenter un gouvernement par les instruments concernant aussi des outils de « monitoring » et de « reporting » (Lascoumes, Le Galès, 2006). La régulation peut aussi être approchée par l’analyse des milieux technico-politiques caractérisant telle ou telle ville (sociologie de l’action publique). Ainsi de ces enquêtes minutieuses ayant abouti à l’ouvrage sur les mondes politiques marseillais (Péraldi, Sanson, 2003) et insistant sur les lieux-moments clés. Nous proposons certes de continuer à mobiliser de tels plans d’analyse, utiles dans une perspective monographique, mais à engager plus résolument une analyse de ce que le projet et les actions mobilisent pour concrétiser et incarner les diverses régulations recherchées par les politiques publiques. On perçoit alors l’enjeu d’une analyse qui se ferait aussi depuis les mondes privés de la production urbaine, en rapport avec ces projets, afin de comprendre les logiques qui les traversent, sans postuler d’emblée une territorialité politique pertinente (il s’agit bien de ne pas présupposer qu’un territoire équivaut à une souveraineté).
Dans le contexte d’incertitude dans lequel s’élabore aujourd’hui la ville, sa production tend à se renouveler et à produire une offre de cadres dans lesquels la règle du jeu des acteurs et de l’action peut être co-produite (Reynaud, 2003). Cette co-production permet de mettre en commun des interprétations du réel, de s’entendre sur des manières de faire et des objectifs et renouvelle du même coup, imparfaitement et temporairement, la confiance entre les différents acteurs (Bourdin, Lefeuvre, Melé, 2006). Au niveau local, de nombreuses démarches, illustrant cette régulation conjointe, s’inventent pour organiser les compétences des collectivités. Celles engagées par Nantes Métropole et étudiées ici en sont de bons exemples. Nous avons cherché à éclairer de telles démarches mises en place depuis 2008 par Nantes Métropole : la charte de gestion des espaces publics, l’atelier de la forme urbaine, les revues de projet. Ces démarches visent à organiser l’aménagement urbain à l’échelle métropolitaine et à dépasser la difficulté que représente la diversité des acteurs engagés dans cette production. Les étudier équivaut à s’intéresser à la production collective des règles, entendues ici au sens large de règles du jeu dépassant les seules règles de droit.
Pour comprendre l’agencement interne de chacun de ces cadres de production, nous nous appuyons sur la grille de lecture proposée par Catherine Paradeise (2003) qui permet d’analyser à la fois la forme, le contenu et les participants d’arènes de débat et d’évaluation, mais aussi les modes de modération et de distribution de l’autorité et du pouvoir, les relations entre les différents acteurs et notamment leur degré d’asymétrie.
La régulation des politiques locales de la métropole nantaise a tout d'abord fonctionné autour de « la proximité », terme fédératif des années 2001-2007. Les Maires et leurs services, les pôles de proximité, Nantes métropole les contrats de co-développement sont autant d’acteurs et de dispositifs qui ont fait et font encore vivre cette proximité. Dans un contexte de mutualisation des services dans les années 2008-2010, toute une série de règles a conduit à clarifier les engagements et les compétences de chacune des parties, communes et EPCI. Des principes d’aménagement métropolitains, un nouveau PLH, des fiches communales figurent au nombre des nouveaux dispositifs. Le credo « Polarité/accessibilité/densité », dans lequel l’habitat et le logement trouvent une place, semble en 2013 l’emporter sur le thème de la proximité. Les années 2008-2012 portent également l'ambition d’une articulation plus forte des domaines de l’urbanisme et du logement avec un exercice des compétences plus resserré et un fonctionnement plus gestionnaire. Mais cette ambition est remise en question par le redécoupage de l'action politique dès 2012 avec un élu spécifique pour chacun des domaines l'urbanisme auquel le foncier est ajouté et le logement social duquel le logement et l'habitat sont soustraits.
Ce texte vise principalement à donner forme à la question des nouveaux cadrages professionnels qui définissent l’activité de projet urbain, en l’occurrence sur le territoire de l’île de Nantes. Dans une perspective pragmatiste, l’observateur-chercheur s’est prioritairement placé dans le cours des réunions de travail. Il peut ainsi mettre en avant les caractéristiques du workshop de l’île de Nantes dont l’enjeu est bien la production d’interactions voire d’interfaces entre hommes de l’art et élus ; il peut plus généralement pointer les enjeux des ajustements permanents de différentes maîtrises. Objets et moments-clés sont mis en récit dans ce qui relève principalement d’une chronique. Il en ressort une importance première de compétences diplomatiques (traductions entre univers professionnels différents). Si la fabrique urbaine apparaît ici polymorphe, elle n’est pour autant pas erratique. Les chroniques de réunion montrent la place importante, dans un contexte pourtant clairement encadré (et de reprise en main partielle du projet par Nantes Métropole), des négociations et des ajustements. Trois caractéristiques de la régulation urbaine (lue par ses négociations internes) sont dégagées : l’importance des pourparlers de l’instance technico-politique avec d’autres organisations, la place des instruments déployés dans ces actions de régulation, enfin le registre d’action particulier qu’occupent les figures, visions et visuels.
L’analyse de la partie qui se joue à l’occasion de la mise en opérations immobilières du projet urbain de l’île de Nantes a été nourrie d’une observation des débats pris sur le vif des échanges tenus autour de la table de réunion de l’opérateur urbain, et des informations tirées d’une série d’entretiens conduits auprès d’opérateurs immobiliers et de leurs architectes. Elle permet de rendre compte d’un véritable processus de mise en opérations immobilières travaillant le terrain au coup par coup, avec une règle urbaine fabriquée « sur mesure », à mesure que les îlots sont engagés dans une phase de mutation. Cette analyse des modes d’agir en commun à l’œuvre dans la phase de réalisation révèle également l’existence d’un « urbanisme en mesure », qui considère les intérêts des acteurs privés que représentent propriétaires fonciers, promoteurs et architectes. S’il apparaît ici un système de production de l’espace qui travaille beaucoup à base d’ententes et de soutiens, reste que cet esprit de conciliation ne doit pas masquer des interactions de contraintes et des rapports de dominations qui se perçoivent également. La perte de puissance d’action directe des pouvoirs publics urbains semble se traduire, paradoxalement, par une montée en charge des contraintes faites aux acteurs privés chargés de réalisation, par le biais d’un « pouvoir public de régulation » qui peut opérer au nom de l’espace public, et avec l’espace public.
Ce travail interroge la dimension située de la régulation territoriale, rarement analysée sous cet angle. L’enquête porte sur le dispositif de Gestion Urbaine de Proximité, dispositif incarnant les vertus de la proximité portées par l’institution, permettant une réactivité plus grande de l’action publique, un engagement et une mobilisation plus importante des agents comme des habitants. L’observation ethnographique de situations de diagnostics en marchant et de réunions permet de mettre en évidence l’action publique telle qu’elle se fait. Elle montre que l’interaction construit de l’égalité à participer autant que de la contrainte relationnelle à agir, et que le dispositif de la GUP conduit, par le soulèvement de « problèmes », à transformer les pratiques professionnelles des acteurs. L’enquête montre alors que les politiques de gestion participent à construire la régulation métropolitaine.
Ce texte interroge la régulation sous l’angle du renouvellement d’un champ de l’action publique : la prospective territoriale. Situées à l'interface entre le politique, le technique et la société civile, les démarches de prospective pilotées par les agences d’urbanisme d’agglomération organisent de nouveaux espaces d’action marqués par des interactions entre des cultures professionnelles bien spécifiques (entre savoirs savants, experts et profanes). Ce travail s’attache plus particulièrement à expliciter l’ingénierie de mobilisation à l’œuvre dans le cadre de la démarche de prospective citoyenne Ma Ville Demain, Inventons la métropole nantaise de 2030 conduite par l’agence d’urbanisme de Nantes entre 2010 et 2012. Les analyses sont réalisées principalement à partir de l’observation de réunions de l’équipe projet et d’entretiens approfondis avec plusieurs de leurs acteurs. Une description des interactions observées, entre acteurs et actants (Latour) de la mobilisation (à travers les « mobiles de la mobilisation », les « agents mobilisateurs », les « relais ou supports » de la mobilisation et les « cibles » de la mobilisation), permet de distinguer différents régimes d’engagement (Thévenot 2006).
Équipes
Responsable scientifique
Laurent Devisme, maître-assistant à l’École nationale supérieure d’architecture de Nantes, directeur du laboratoire LAUA (Langages, actions urbaines, altérités)
« Économie de la connaissance »
Christophe Demazière, Jacques Fache, Amélie Nicolas, Élise Roy
« Régulations territoriales »
Anne Bosse, Célia Dèbre, Laurent Devisme, Isabelle Garat, Pauline Ouvrard, Élise Roy
Ressources liées
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