Economie de la connaissance
Dans cette recherche, l’économie de la connaissance recouvre le segment immatériel des politiques et stratégies d’attractivité métropolitaines, l’attractivité étant entendue comme une capacité des métropoles à mettre en place des conditions de captation et de rétention de populations cibles. La recherche interroge le lien entre économie de la connaissance et développement territorial, en s’intéressant à des acteurs-réseaux dans la mesure où, dans le cadre de l’économie de la connaissance, les réseaux tendent à se substituer aux catégories classiques d’organisation des marchés.
Les enquêtes ont été menées auprès de profils créatifs (entrepreneurs innovants), sur des lieux (cantine numérique), et sur des dispositifs mis en œuvre par des collectivités publiques à Rennes. Ces dispositifs sont de cinq natures : soit une stratégie nationale régionalement adaptée (incubateur Emergys), soit une stratégie d’institutions locales d’enseignement supérieur (Fondation Rennes 1), soit une initiative issue du regroupement de plusieurs associations (Cantine numérique, IDA, Plate-forme culinaire), soit des outils de collectivités locales disposant de la compétence économique (l’Allocation d’installation scientifique comme outil de sélection, la stratégie de développement économique de Rennes Métropole comme outil de gouvernance), soit une stratégie métropolitaine visant à renforcer l’internationalité d’une ville (Centre de mobilité internationale, cité des chercheurs en centre-ville).
Deux axes des stratégies métropolitaines ont été étudiés. D’abord, la quête d’une spécialisation métropolitaine par la créativité : celle-ci intervient dans un contexte régional ciblé par les politiques nationales de compétitivité et les incitations européennes, mais la concentration d’activités scientifiques (dont seule la fonction Recherche se détache) ne suffit pas à contrebalancer les faibles indicateurs de spécialisation. La Bretagne n’a pas échappé au mouvement européen de spécialisation des territoires via les politiques nationales de compétitivité, certains des dispositifs étudiés ont tous un lien avec des pôles de compétitivité (Incubateur Emergys, IDforCAR, plate-forme culinaire). À Rennes, plutôt inscrite dans la classe des villes dites créatives par renouvellement d’image, cette situation révèle entre autre l’absence de corporation établie, permettant à la métropole de collaborer avec le secteur industriel. Sur la créativité proprement dite, la recherche propose une mesure de la classe créative dans les métropoles, en particulier des professions dites créatives.
Puis, les stratégies d’organisation de l’innovation, d’une gouvernance locale de l’économie créative. La métropole rennaise doit relever le défi de constituer un lieu socio-institutionnel favorisant une efficacité d’ordre relationnel, mais se heurte à la dispersion des dispositifs, d’origine différente (Etat, Région...), et à leur faible institutionnalisation, ainsi qu’à la fragmentation des instances de développement.
À partir des théories du « régime urbain » et des approches en termes d’entreprenarialisme des villes, la recherche se concentre sur l’étude de plusieurs dispositifs d’attractivité, éclairant des choix d’action publique qui correspondent aux doctrines néo-libérales, avec une quête affirmée d’attractivité des groupes sociaux favorisés et des sièges sociaux d’entreprises de préférence tertiaire (les « meilleurs » chercheurs, acteurs...). L’analyse de cette néo-libéralisation des politiques d’attractivité par la différenciation révèle une gouvernance marquée par une coalition locale d’acteurs faiblement structurés, organisée, mais compensée par la forte présence de représentants du monde institutionnel, gestionnaire d’organisation ou d’équipement public ou parapublic.
La recherche interroge la capacité de l’acteur public, Rennes Métropole, à conduire les actions de développement économique, en articulant un rôle de fédérateur d’initiatives ascendantes, d’impulsion de démarches locales, d’accompagnateur d’actions qu’il ne maîtrise qu’en partie et d’interlocuteur d’incitations nationales. Dans ces conditions, la production de l’action collective, sous forme de coopération négociée, se structure sous l’effet de trois facteurs : un volontarisme (leadership), une représentation positive détenue par chaque acteur des bénéfices attendus de son engagement, et, enfin, par le facteur exogène d’incitations extérieures, souvent de niveau supérieur (financement, accélérateur, label...)
Les dispositifs publics d’accompagnement et de soutien à l’innovation comme les incubateurs technologiques ont autant pour vocation de soutenir l’innovation que de porter un discours local de la créativité. Le cas d’Emergys illustre une version intermédiaire de transformation des politiques d’innovation, non plus descendantes mais inscrites à mi-chemin vers un investissement direct des acteurs publics sur l’espaces urbain via d’autres dispositifs comme le sont les cantines numériques.
Deux éléments se dégagent de l’analyse de cet incubateur dans une perspective de sociologie des organisations territoriales. En termes de réseautage, le rôle de label exercé par les incubateurs publics permet de garantir la pertinence des projets sélectionnés et leur intégration dans les réseaux locaux, critère discriminant à la réussite de la création d’entreprises innovantes. Les temps de sélection à son initiative, sont des occasions d’animation de relations entre acteurs qui soit peinent à être mises en place (réseaux d’entreprises) soit restent confinées (club d’entreprise). L’entrée dans l’incubateur rassure les partenaires et permet à l’entreprise d’accéder à des ressources voire à l’encastrement social dans les réseaux professionnels.
L’analyse révèle aussi des liens fort avec l’institution métropolitaine, principal financeur, au détriment d’un versant entrepreneurial marqué. Cette dominante de la sphère publique ne facilite pas la mise sur le marché, avec un climat propre aux villes bretonnes peu ouvertes sur le risque et la dimension business, alors même que la création d’entreprises innovantes est plus forte sur le territoire rennais qu’ailleurs en Bretagne. Cet accompagnement public passe aussi par des outils de marketing territorial, visant desacteurs créatifs (novosphère), à la fois fédération de réseaux d’innovation (une trentaine) et label de projet permettant d’en soutenir la communication, ainsi qu’instruments de rayonnement
L’autre face des politiques d’attractivité concerne les dispositifs ciblant des populations créatives. Les théories de l’économie urbaine tendent à démontrer que la compétitivité d’un territoire se retrouve dans sa capacité à attirer une population spécifique permettant l’essor d’activités innovantes, une valorisation de l’image de la ville et des investissements économiques sur le long terme. L’investissement des agglomérations dans les projets universitaires en est un des créneaux phare. L’analyse de la politique d’Allocation d’Installation Scientifique (AIS) rennaise, à la fois soutien via des individus aux structures de recherche du territoire, et soutien à la créativité, révèle des éléments contrastés. Cette politique complète, par un dispositif pluraliste, les soutiens régionaux ciblés sur des secteurs prioritaires de recherche, reproduisant dans sa sélection les critères de l’excellence (mobilité, expérience internationale...).
L’AIS apparaît systématiquement échapper aux facteurs conditionnant les choix de localisation des chercheurs : les déterminants de la localisation professionnelle en recherche publique restent avant tout régis par les capacités du marché de l’emploi et le capital de prestige des laboratoires. Mais le travail démontre que même en passe d’être inefficace, par des cheminements indirects et complexes, le dispositif semble répondre à la stratégie métropolitaine initiale de Rennes. S’il n’est pas un facteur d’influence sur les trajectoires professionnelles ou résidentielles, il est pour autant susceptible de contracter un processus de développement de la recherche grâce à des externalités positives qui en découlent. À l’échelle individuelle, les AIS facilitent le développement d’une recherche personnelle et l’ascension professionnelle, tout en proposant des répercussions globalement collectives mais aussi reconnues par les chercheurs comme un facteur de rétention, autour de trois vecteurs d’émulation : l’intégration poussée dans l’équipe de recherche et ses rapports sociaux, la « mise à l’étrier » par les premiers financements, et, enfin, comme signe d’une « marque d’estime » dans les relations ainsi établies entre les chercheurs et l’institution locale, le chercheur se voyant dès lors doté d’un statut de médiateur.
Second type de soutien à la créativité, les politiques d’internationalisation qui, via des lieux, ciblent les chercheurs comme « classe » stratégique. Infrastructures cruciales de ce processus, les Cités internationales d’accueil de chercheurs étrangers font l’objet d’un consensus entre les acteurs locaux. Elles résultent d’une large concertation entre acteurs de la communauté universitaire au sens large, lesquels dépassent, parfois très difficilement, leurs logiques d’institutions pour réfléchir à une logique d’optimisation de moyen dans le cadre d’un projet fédératif à l’échelle métropolitaine. Derrière ce consensus, l’étude révèle une faible réflexion en amont sur la capacité, le fonctionnement et la gestion de ces infrastructures, avec deux dysfonctionnements latents : leur seuil d’équilibre et leurs principes de gestion. Ces structures sont souvent déléguées à des prestataires maîtrisant mal le modèle cognitif du public, n’intégrant pas les caractéristiques du public international visé, et imposant des règles de financement et de rentabilité (longs séjours) peu compatibles avec les logiques des publics cibles. Si la mobilité internationale des chercheurs, son image d’attractivité territoriale restent portés en exergue par l’ensemble des acteurs, il n’en demeure pas moins que ces dispositifs ne sauraient à eux seuls être gage ni d’une attractivité ni même d’une rétention sur un territoire soumis à un système complexe de contraintes et de concurrences. Dès lors, loin de l’illusion d’une quelconque « prophétie autoréalisatrice », c’est bien dans une politique globale et partenariale que ces outils peuvent trouver leur efficacité, voire leur légitimité.
À l’échelle métropolitaine, l’analyse d’un autre lieu, numérique cette fois, la Cantine, permet d’opposer deux modèles territoriaux d’innovation, l’un (rennais) marqué par une trop forte tendance à l’institutionnalisation, et l’autre (nantais) illustrant la théorie des territoires numériques résilients, c’est-à-dire de territoires entretenant une périphérie active, faite de réactivité et alimentant d’air frais un centre porté par des structures de recherche, entre autres.
Les politiques vers l’innovation (sociale), via des soutiens à des réseaux d’acteurs, permettent d’examiner la place des Sciences Humaines et Sociales (SHS) dans l’économie de la connaissance. L’analyse de deux projets (Innovation Domicile Autonomie – IDA - et la Plate-forme d’Ingénierie Culinaire - PIC), censés témoigner d’un « territoire d’expérimentation », revient sur les limites et les blocages à l’origine de cette faible présence. Tous deux sont lié à l’exercice d’une compétence nouvelle de Rennes Métropole en matière de recherche et d’enseignement supérieur de la collectivité, qui a vu celle-ci se déplacer au fur et à mesure vers une politique territorialisée d’expérimentation, de type living labs.
Dans le premier cas (IDA) une fois le projet achevé, le réseau d’acteur s’étiole, chaque partenaire repart sur ses compétences propres sans que le projet collaboratif n’ait changé les habitudes de travail, alors même que le soutien à l’innovation suscite une attente de soutien à la normalisation, à la généralisation, par inscription territoriale de l’innovation. Le second cas (PIC), de soutien à un réseau d’acteurs par le biais d’une plate-forme d’innovation, témoigne d’une dynamique de partenariat diversifié (collectivités et institutions publiques, organismes de recherche). L’intérêt de l’expérience du point de vue de Rennes Métropole réside dans la consolidation de relations entre la recherche SHS, l’innovation sociale et l’innovation industrielle, de médiations entre les différents acteurs du laboratoire vivant. Il reste que les premiers chercheurs impliqués dans la démarche ne sont pas rennais, la principale université SHS de Rennes n’étant pas non plus partie prenante.
L’innovation sociale se confronte donc au défi de sa reconnaissance et sa matérialisation territoriale, alors même qu’elle est omniprésente. L’échelon métropolitain et l’acteur public de soutien à l’innovation (Rennes Métropole) semblent bien pertinents pour impulser un caractère participatif, les SHS jouant alors un rôle de médiation facilitant ce processus. Les SHS représentent aussi pour l’acteur public l’occasion d’investir un créneau laissé libre par la Région ou les SATT (dispositifs importants de l’innovation) et d’apparaître comme un acteur émergent du soutien à l’innovation. Mais cette intégration se heurte aussi aux caractéristiques structurelles des systèmes respectifs de la recherche scientifique et de l’enseignement supérieur.
Si la mise en réseau est reconnue comme levier de la performance des régions métropolitaines, peu de recherches ont regardé jusqu’où l’accompagnement à l’innovation pouvait faciliter l’intermédiation entre les acteurs économiques, et plus particulièrement entre les entrepreneurs innovants. En référence aux théories des réseaux et de la ville créative, est proposée une grille de lecture des différents dispositifs de soutien à l’innovation dans la métropole rennaise. S’appuyant tantôt sur la figure du tiers-lieu (Cantine), tantôt sur celle de la plateforme, inspirée du modèle des livings labs (Plate-forme IDA), ou encore sur la labellisation (Novosphère), les politiques de soutien menées par l’acteur politique métropolitain ont-elles un réel effet sur la strate de l’underground créatif ? La recherche montre que ces dispositifs n’atteignent pas leur objectif et que le rôle d’intermédiation de l’institution est, soit contreproductif, soit inabouti, révélant par-là la complexité des facteurs de succès de la mise en réseau des entrepreneurs innovants.
Le changement de culture n’est pas évident pour la collectivité Rennes Métropole habituée jusque-là à jouer le rôle de partenaire des entreprises et associations, ou financeur de projets. Dans une démarche d’institutionnalisation des processus, l’acteur public a tendance à impulser une dynamique mais aussi à participer à la prise de décision et à la stratégie alors qu’il devrait se contenter de faciliter le réseau. Sa forte présence exprime une volonté de maîtrise des bénéfices et du processus d’intermédiation mais induit de fait un effet de conformisme qui peut être contre-productif (cantine numérique), alors même qu’inversement sa trop faible présence constatée dans l’exemple d’IDA conduit aux mêmes effets.
De plus, le facteur incrémental, aléatoire et risqué de la créativité se retrouve compensé par son potentiel de marketing. Le Tiers lieu, le Label et la Plateforme sont trois manières d’offrir de la liberté à des situations de risques, avec en contrepartie des effets d’image à produire et prouver. L’effet d’image permet d’atténuer l’aversion pour le risque d’une entité publique comme Rennes Métropole lorsqu’elle s’aventure à investir sur ce type de dispositifs.
Cette recherche répond à l’objectif de faire émerger les nouveaux enjeux contemporains intervenant autour des sites de gare, en ciblant un angle d’analyse restreint et local du projet EuroRennes : celui des mutations sociales et urbaines que celui-ci induit sur un périmètre opérationnel. Puis elle propose d’interroger les formes partenariales de gouvernance au cœur de ces projets. La recherche articule cette analyse avec celle des stratégies métropolitaines et de leurs différentes échelles dans lesquelles ce périmètre s’inscrit. Elle propose une analyse des mutations en cours du site, qui poursuivent des mouvements engagés depuis des décennies d’extension et de recompositions de la centralité rennaise se diffusant du centre historique vers le sud (et son pôle administratif), ainsi que de mutation dans la composition sociale de l’occupation de l’espace, d’un secteur jusque-là périphérique et amené à constituer un des nouveaux hauts-lieux phares de l’agglomération.
Méthodologiquement, la recherche a croisé différents types d’approches. Concernant la dimension socio-urbaine, elle a eu recours aux enquêtes qualitatives, statistiques, documentaires et archives. Sur le projet proprement dit, le matériau de base été celui des entretiens semi-directifs auprès de nombreux acteurs du projet et des « professionnels du récit ». L’enquête a aussi été menée en ethno-méthodologie minimaliste consistant à assister à l’ensemble des réunions impliquées par le processus opérationnel de 2011 jusqu’au début 2013. C’est donc à partir d’un prisme temporel bien cerné (2006-2013), courant quasiment jusqu’aux phases de réalisation concrète du projet (chantiers) que ce projet a été reconstitué ex post et in vivo. Ce travail s’appuie également sur les différents documents répertoriés au fil du projet par les services d’expertise de la communauté d’agglomération Rennes Métropole. Associée à un terrain par des entretiens, la recherche propose aussi une historiographie de la fabrique du projet, s’apparentant à une archéologie d’actions de cette opération.
Une première partie du travail resitue la dynamique de ces quartiers de gare dans une perspective historique, et les dynamiques de peuplement autour d’un quartier qui n’est pas enclin, par son héritage historique, à accueillir de nouvelles centralités.
Le nouveau quartier de gare s’inscrit en effet moins dans la suite logique d’une ville constituée, que dans la réforme en profondeur dutissu commercial, culturel, ludique, sociologique d’un secteur en retrait de la ville-centre. Le travail est d’autant plus éclairant, sur les différentes dynamiques successives de localisation de populations modestes et le maintient d’une composition populaire très largement majoritaire dans ce secteur jusqu’aux années 1950. La mutation s’amorce, dans les années 1980, avec l’arrivée de vagues successives, s’accélérant par valorisation foncière, et dont la nouvelle gare TGV sera un moment-clé. Presque trente ans plus tard, d’autres processus s’imposent, dont celui d’une valorisation par « contamination ».
Face à cela, la force et l’enjeu d’EuroRennes seront de « réussir la greffe », c’est-à-dire de localiser la stratégie métropolitaine sur un site dont l’héritage patrimonial et historique reste prégnant et en inadéquation – par son offre urbaine existante – avec les enjeux affichés d’un quartier d’affaires. La différence avec les projets d’autres métropoles comme EuroNantes (POPSU 1), par exemple, est ici que le foncier est largement utilisé, avec peu d’emprises disponibles, hormis certaines zones à lourds enjeux comme la prison des femmes oules ateliers de la SNCF en déplacement, et doit donc pour une large part être recomposé.
Comment interpréter la stratégie métropolitaine dans laquelle s’intègre cette opération EuroRennes ? La recherche propose d’abord pour l’aborder d’actualiser les travaux récents portant sur la gentrification, analysant les mutations sociales du secteur sous des prismes de lecture néo-marxistes, plutôt critiques, des recours au marketing et de ses axes stratégiques de politiques urbaines (compétitivité, modes d’urbanisme piétons…). La focalisation sur la partie sud du quartier de gare ne doit pas faire disparaître l’évolution fortement différenciée des secteurs, ainsi qu’entre les secteurs Nord et Sud de la gare, le reflux confirmé des catégories sociales populaires se doublant d’un léger retrait des cadres supérieurs dans la partie Nord
Cette teneur des politiques métropolitaines, largement constatée dans d’autres agglomérations françaises, peut être considérée pour une part comme l’expression d’un alignement sur les attentes d’une « classe » dominante de gentrifieurs. Mais la stratégie métropolitaine au cœur du projet EuroRennes est plus complexe, plurielle. Elle vise aussi à répondre au paradoxe métropolitain de la croissance de la fréquentation des réseaux de transports en commun et au changement d’échelle des visions associées.
En cela, à rebours d’un projet urbain spécifique, la recherche démontre comment la politique rennaise, entre autres en s’inscrivant dans une logique partenariale, accentuée par le retrait progressif des grandes figures d’élus interventionnistes, cède le pas à une génération de technocrates souvent brillants, mais dont le calibrage des politiques ondule au grès d’un incessant benchmarking et d’un conformisme croissant sur des principes d’intervention. Ces pratiques voient s’estomper la plupart des anciens clivages au profit d’une ligne socio-libérale, revendiquant comme une évidence l’exigence de compétitivité, la nécessaire stratégie d’attractivité etc. EuroRennes est donc aussi ce révélateur-là, tout en constituant un des vecteurs de bifurcation de ces politiques.
Ces enjeux de mise en adéquation d’un quartier de tradition populaire suscitent aussi des débats et questions de patrimonialisation classiques dans toute opération de mutation en profondeur du tissu urbain. Elles s’expriment aussi à travers les différents partis pris de l’opération, de production de nouvelles polarités commerciales et de la mobilité, de nouvelles aménités urbaines. Mais celles-ci résistent cependant difficilement à leur programmation : l’espace public ne se décrète pas, reste à voir comment s’opérera dans le temps cette mutation.
Contamination, enfin. Ces analyses convergent sur l’idée que le modèle sur lequel se structurent les dynamiques de cet espace est celui de la « contamination » : celle d’une gentrification de « proche en proche », mais aussi de ZAC successives qui tirent la gare et l’extension urbaine vers le Sud (ZAC St Hellier…), remettant à jour ce faisant le vieux projet des années 1990 d’un décentrement de la centralité vers le sud.
Le deuxième objet de recherche retenu porte sur la nature de la gouvernance du projet, dont l’une des avancées de la recherche est d’en formaliser le modèle d’une « convergence différenciée ». Partant du cas du « site gare » de Rennes, cette partie de la recherche s’attache au processus de production de stratégies urbaines, sur la question des transports et des mobilités. Elle vise à contribuer, par le biais de l’analyse documentée d’une opération à deux niveaux concernant un « secteur de gare » - le pôle d’échange multimodal (PEM) et la ZAC EuroRennes - à élucider une des modalités de l’action urbaine contemporaine, dans un contexte dit d’incertitude, en la rapportant aux évolutions récentes du champ de l’urbanisme et de l’aménagement urbain.
À partir d’un suivi systématique et chronologique de la maturation du caractère partenarial du projet, la recherche illustre plusieurs niveaux de ce partenariat.
La résolution des conflits, par exemple. Si la question d’un Pôle d’Echange Multimodal s’intégrant à une opération urbaine d’envergure est en effet apparue comme « logique » pour les services urbains de la ville et de la métropole, l’établissement d’un cadre coopératif entre les acteurs ferroviaires et urbains ne s’est pas fait sans difficulté. La recherche montre comme un lent et patient travail de montage de cette coopération a permis de dépasser les intérêts personnels des acteurs, la construction d’un intérêt commun et d’établir une indispensable coopération liée au partage des ressources foncières, d’ouvrages et financières entre les différents acteurs impliqués par le projet, tout en permettant la poursuite des objectifs respectifs (convergence différenciée, produite par un attracteur extérieur).
C’est par cette stratégie de gouvernance, expérimentale parce que peu commune à Rennes, que les acteurs urbains concernés par le développement urbain, ont pu rassembler autour d’eux les acteurs ferroviaires mobilisés par les enjeux de la « capacité » de la gare de Rennes, mais aussi les acteurs de transports interurbains routiers intéressés par les questions d’intermodalité, de développement du réseau et de sauvegarde de la gare routière.
L’opération urbaine n’a donc pas seulement un caractère politique : elle est portée entre différentes institutions se regroupant à travers une organisation compétente à exercer une maîtrise d’ouvrage partagée sur une opération d’infrastructure. Le projet urbain s’y redéfini ainsi constamment à travers des exigences d’ingénieries techniques, d’une reconsidération de certains acteurs présents sur le périmètre, sous le poids théorique de l’immobilier tertiaire et face à l’incertitude de pouvoir attirer les entreprises ou encore l’incertitude de l’investissement des groupes de promoteurs. Ces éléments rappellent qu’il est fort peu aisé, même pour une autorité urbaine à forte volonté planificatrice, d’assurer le bon déroulement d’une opération. C’est en somme, les contradictions entre une ville à forte maîtrise théorique, qui en pratique, rentre nécessairement dans une opération « au fil de l’eau », au cœur d’une pratique expérimentale d’urbanisme, prouvant ainsi l’incertitude de pouvoir mener à bien une opération régie par le contexte, les démarches commerciales et les méthodes néo libérales.
Autre apport de la recherche, celle de révéler concrètement, et de manière documentée et détaillée les très fortes contradictions inhérentes à tout projet urbain d’envergure auxquelles sont confrontés les acteurs urbains qui préfèrent esquiver la reconnaissance du fossé abyssal séparant les espérances virtuelles et la réalité fastidieuse du long terme immobilier dans la production urbaine. Derrière, par exemple, un récit expressif sur les mètres carrés constructibles, s’illustre une demande invisible dans le domaine tertiaire, encore à l’heure d’aujourd’hui, d’être à même de préciser ce qu’il est possible de faire dans le cadre de cette opération, tout en niant le peu d’intérêt des investisseurs potentiels pour le projet, et les limites des prophéties auto-réalisatrice ou de « l’effet catalyseur ».
Puis, comme dans toute organisation, les divisions entre les acteurs restent bien présentes, imputables d’une part aux visions différenciées de l’opération et d’autre part à la part différenciée prise par chaque acteur dans l’opération. Une organisation ne se résume pas à un système fermé où les participants échangent et agissent seulement en interne. D’où certaines tactiques, intéressantes : derrière la coalition entre les 8 acteurs principaux, se dégageait ainsi de mini-coalitions ponctuelles d’apprentissage, rassemblant les acteurs ayant des intérêts communs provisoires et devant tenir une parole commune, ou bien au contraire, des coalitions d’acteurs en divergences mais ne pouvant assumer leurs contradictions au sein des comités de pilotage pour ne pas faire échouer l’organisation et s’appuyant dès lors sur des négociations bilatérales.
Sil a été démontré ailleurs comment l’organisation d’un projet ne tient qu’aux seules motivations des acteurs à collaborer au sein d’un cadre hiérarchique institué, ce à quoi il faudrait ajouter qu’elle tient aussi à une vigilante relance incessante d’un processus, ce qu’un des acteurs du projet restituait sous les termes d’une métaphore : « un partenariat c’est comme le vélo, il ne faut pas s’arrêter sinon on tombe ». Dans le cas de figure du « partenariat » élaboré autour du futur Pôle d’Echange Multimodal de Rennes autant que du projet plus large d’EuroRennes, la question de l’organisation n’avait pas pour origine la réalisation d’un objectif final commun (le PEM), et d’un catalyseur ou moteur exogène comme implacable : la réalisation de la LGV. D’où le fait qu’elle ait pris davantage son essor autour d’une association exploratoire d’acteurs reposant sur un espace commun de réflexion, partagé collectivement et permettant à chacun de ces acteurs de poursuivre son objectif en propre à travers des priorités collectivement définies mue par ce catalyseur. Il n’y a donc pas de construction d’intérêt commun, mais d’un dispositif (le « partenariat ») solidifié autour de priorités partagées permettant à chaque acteur de déployer ses propres objectifs en compromis avec ceux de ses autres « partenaires », la convergence différenciée.
Enfin, la recherche apporte aussi une série d’éclairages instructifs sur la question spatiale des « gares et de leurs quartiers », la volonté de faire de ces sites des objets urbains à part entière, proposant services et aménités, articulant logique de mobilité et logique d’urbanité, privilégiant l’analyse des rapports en tension entre la production d’un site, la nouvelle gare de Rennes (ou Pôle d’Echange Multimodal – P.E.M.) et la production de son environnement urbain, de son offre urbaine.
Équipes
Responsable scientifique
Marc Dumont, maître de conférences à l’Université Rennes 2 jusqu’en 2014, Laboratoire ESO-UMR 6590, chercheur associé au laboratoire LAUA
« Économie de la connaissance »
Hélène Bailleul, Sébastien Chantelot, Marc Dumont, Magali Hardouin, Charles-Édouard Houllier Guibert, Thibault Le Corre, Hélène Martin- Brelot, Bertrand Moro, Raphaël Suire
« Gares et pôles d’échanges »
Thibault Le Corre, Catherine Guy, Marc Dumont Gérard Darris, Benjamin Sabatier, Capucine Lemaître, Emmanuelle Hellier
Ressources liées
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La mobilité - ou plutôt les mobilités - est l’une des notions les plus partagées au sein des sciences sociales, en particulier en géographie, sociologie, aménagement et urbanisme. Définies comme les déplacements de personnes d’un lieu à un autre, les mobilités sont intimement reliées aux choix des modes de transports et à la notion d’accessibilité.
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Le développement économique des métropoles, villes et territoires, et leurs modèles économiques soulèvent des enjeux de résilience, d’attractivité du territoire, de bien-être social, et de réduction des inégalités socio-économiques. Les tendances économiques actuelles telles que la délocalisation, la mise en concurrence des territoires ou encore la spécialisation tendent à s’orienter vers la coopération économique entre les territoires. La recherche au sein des plateformes POPSU s’attache à observer ces modèles, leurs jeux d’acteurs et leurs transitions actuelles.